Lobbying à l’Assemblée Nationale pour le travail de nuit, la réponse du SCID.

Le 31 octobre, notre syndicat le SCID était invité à l’Assemblée Nationale, avec nos camarades du CLIC P (Comité de Liaison Intersyndical du Commerce de Paris) dans le cadre d’une « mission d’évaluation commune de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite Loi Macron »…

l’Assemblée NationaleLe thème de cette audition portait sur le travail « en soirée ». Que nous appelons nous, travail de nuit.

Tiens tiens, juste après des décisions de justice faisant interdiction aux Monoprix parisiens de faire travailler des salariés au-delà de 21H.

D’ailleurs, ces décisions de justice contre Monoprix étaient bien au cœur de cette audition, comme en témoigne le document de travail qui nous a été transmis par les co-rapporteurs : Questionnaire-Assemblée-Nationale-sur-Monoprix

On constate que le lobbying des patrons de Monoprix est affiché sans complexe et repris sans vergogne par les députés co-rapporteurs, dans le but évident de changer la loi sur le travail de nuit.

Voici notre réponse écrite, qui a été portée par l’une de nos représentante au Palais Bourbon, avec nos camarades du CLIC P.


Mesdames et Messieurs les co-rapporteurs
Mission d’évaluation de la loi du 6 août 2015
Pour « la croissance, l’activité et l’égalité des
chances économiques », dite « Loi Macron »

Paris, le 30 octobre 2018

Mesdames et Messieurs les co-rapporteurs,

Depuis l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 septembre 2018 faisant interdiction aux Monoprix Exploitation parisiens de faire travailler des salariés au-delà de 21H, sous astreinte de 30 000 € par infraction constatée, on assiste à un lobbying totalement décomplexé de la part des dirigeants de Monoprix pour manipuler l’opinion et changer la loi sur le travail de nuit.

Et derrière les dirigeants de Monoprix, on sent la pression de tous les grands patrons du commerce qui ouvrent déjà ou ont le projet d’ouvrir au-delà de 21H (grande distribution et grands magasins).

Nous sommes dans les entreprises du commerce et nous savons que tout le monde parle de cet arrêt de la cour d’appel de Paris. Un arrêt confirmé par plusieurs arrêts récents de la cour de cassation.

Nous avons également constaté le parti pris de la presse dominante sur le sujet et la manipulation grossière de l’opinion, une manipulation s’appuyant notamment sur une pétition soi-disant à l’initiative des salariés et des clients sur le site www.change.org :

«Salariés et clients, mobilisons-nous pour l’ouverture des Monoprix jusqu’à 22H»

Cette pétition est en réalité une initiative patronale puisqu’elle a été lancée par un directeur de magasin Monoprix, membre de la fondation Monoprix, qui n’hésite pas à reprendre des termes de mobilisation syndicale pour réclamer une régression sociale majeure et à ce jour encore illégale : le travail de nuit dans le commerce.

Les patrons de Monoprix manipulent également leurs salariés en diffusant des notes de service très anxiogènes laissant entendre que la fermeture des magasins avant 21H (qui est une mise en conformité avec la loi, rappelons-le) sera une catastrophe pour l’emploi et le pouvoir d’achat des salariés.

Donc, si les salariés perdent leur emploi ou voient leur salaire baisser, ce sera de notre faute, nous les syndicats du CLIC P qui luttons contre la précarité et les déréglementations du temps de travail.

Heureusement que le ridicule et la mauvaise foi ne tuent pas. Sinon les pertes seraient lourdes dans le camp des patrons. Car ce sont bien ces patrons qui ont volontairement précarisé les emplois et maintenu des salaires très bas pour avoir des salariés corvéables à merci et obligés d’accepter de travailler le dimanche ou la nuit pour survivre.

Et ces patrons savent TRÈS BIEN qu’ils ne peuvent pas supprimer des emplois parce qu’ils se mettent en conformité avec la loi. Cette pratique est interdite.

En outre, ces puissants patrons du commerce ne se soucient nullement des artisans et des petits patrons qui, eux, respectent la loi, n’ont pas les moyens d’ouvrir 7/7 jours et 24/24H, perdent petit à petit leur clientèle et risquent de disparaître totalement.

Sans parler de l’impact écologique d’avoir des activités commerciales qui ne s’arrêtent jamais.

A la lecture du document que vous nous avez fait parvenir, intitulé « Tables rondes Le Travail en Soirée chez Monoprix, questions susceptibles d’être posées », nous avons malheureusement constaté que ce lobbying intensif avait d’ores et déjà infesté vos travaux.

Oui votre document est clairement orienté du côté patronal. C’est assez frappant lorsque nous lisons votre question : « le juge judiciaire est-il en mesure d’évaluer lors d’un référé l’intérêt social et économique de l’ouverture en soirée ? ».

Le juge judiciaire répond en droit. Pas en évaluant les profits éventuels de leur décision pour les gros patrons.

De plus, vos questions ne portent pas sur les impacts du travail de nuit en termes de santé, de qualité de vie, de conditions de travail, d’environnement, mais sur les contreparties au travail de nuit ou en soirée.

Nous pensons que le travail de nuit, comme le travail du dimanche, est un sujet de société.

Et nous pensons que, sur ce sujet de société, vous ne posez pas les bonnes questions.

Du point du vue des gros patrons du commerce, ces décisions de justice sont des entraves intolérables à leurs sacro-saintes « liberté d’entreprendre » et « croissance des profits ». Ils n’ont pas d’autres objectifs. Et ils se servent de vous pour modifier la loi en leur faveur, sans se soucier des impacts humains, sociétaux et environnementaux.

Or, dans le cadre de votre mission de représentation du peuple, vous vous devez de défendre l’intérêt général. Et non les intérêts particuliers des puissants.

Pourquoi ouvrir les commerces la nuit est-il contraire à l’intérêt général ?

D’abord, parce qu’il est fondamental pour le lien social et familial d’avoir des temps de repos communs à tous dans notre société. Lorsqu’on travaille très tard, c’est l’abandon pur et simple, par exemple, de l’éducation et du suivi scolaire des enfants. Avec tout ce que cela entraîne.

Ensuite parce que des études scientifiques ont clairement démontré que le travail de nuit nuisait gravement à la santé.

Le travail de nuit est pénible car il dégrade la santé, les conditions de travail et de vie des salariés. Des salariés qui, avec leur petit salaire, n’ont pas les moyens d’habiter à Paris et ont des temps et des conditions de transports très éprouvants, voire dangereux.

D’un point de vue économique, il est bien évident que seules les grosses enseignes pourront ouvrir le soir et la nuit. Elles récupèreront donc toutes les parts de marché et détruiront, à terme, les petites enseignes et les artisans qui– eux – n’ont pas les mêmes moyens et les mêmes réserves de productivité.

Et c’est bien regrettable car ce sont les petits patrons et les artisans qui créent les emplois de qualité, qualifiés et pérennes dans le temps. A l’inverse, les grosses enseignes du commerce créent des emplois précaires, non qualifiés, à temps partiel et sous-payés.

Vous évoquez dans votre document les compensations au travail en soirée. Celles-ci permettraient aux salariés de gagner plus.

En tant que syndicat défendant les intérêts des salariés, nous revendiquons l’augmentation des salaires plutôt que l’augmentation des horaires. Quand votre salaire vous permet de vivre dignement, vous n’avez nul besoin de vous porter « volontaire » pour travailler en soirée ou la nuit.

De plus, nous pensons que les compensations généreusement offertes par les patrons ne seront pas pérennes dans le temps. Si toutes les enseignes ouvrent à terme 7/7 jours et 24/24H, il est bien évident qu’il n’y aura nul besoin de volontaires, donc nul besoin de majorations particulières.

On nous oppose aussi qu’on ne doit pas empêcher ceux qui le souhaitent de travailler en soirée. Notamment les étudiants qui en ont cruellement besoin.

A ça, on peut répondre que dans « liberté de travailler », il y a comme une contradiction dans les termes. Mais c’est une question de point de vue.

On peut aussi répondre que le besoin étudiant de trouver des petits boulots en soirée pour vivre est le triste reflet de la précarisation de notre société. Un étudiant devrait avoir les moyens de se consacrer à ses études sans avoir besoin de travailler la nuit, le dimanche…

Enfin, nous pensons que cette dictature de la consommation effrénée nous mène droit à la catastrophe. Dans de nombreux domaines et notamment celui de l’environnement.

Aujourd’hui, tout le monde convient qu’il y a urgence à prendre des mesures pour réguler les activités humaines. Or, les dirigeants continuent de poser la croissance infinie et la dictature du profit comme finalités à toute chose.

Cela suffit, cette idéologie est totalement irresponsable. Des commerces ouverts 7/7 jours et 24/24H, c’est autant d’activités qui ne s’arrêtent JAMAIS. Est-ce ce projet de société que vous voulez défendre ?

Il est temps de remettre l’intérêt général au centre des décisions et nous comptons sur vous pour le faire.

Le SCID : pour remettre l’humain au centre des décisions

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